Le cépage Pinot Meunier en Champagne par Eric Taillet à Baslieux-Sous-Châtillon

L’addiction d’Eric Taillet pour le cépage Meunier remonte à loin, il offre à ses yeux un grand intérêt gustatif autour de mots clés tels que « fruit », « élégance », « souplesse ». Enfant, Eric Taillet était toujours à proximité de son père et de son grand-père pour les voir travailler. Son père pratiquait déjà une viticulture sans engrais chimiques. 

Eric Taillet représente la quatrième génération de vignerons dans sa famille. Ses arrière-grands-oncles paternels et maternels possédaient des vignes, issues de la famille Régnier à la suite d’un mariage. L’histoire du village de Baslieux-sous-Châtillon tourne résolument autour du cépage meunier, et Valentine Régnier y a joué un rôle important.

Historiquement, la qualité du meunier sur le secteur était peu probante et les maisons de négoce s’enfonçaient le moins possible dans la vallée de la Marne pour des coûts évidents de transport, à cheval dans un premier temps puis en camion ensuite.

Le grand-père d’Eric Taillet fut le premier à produire des bouteilles en tant que récoltant manipulant. Son père Daniel Taillet reprit l’exploitation en 1961. Dans les années 80, des pinots noirs et des chardonnays furent plantés sur le secteur du village, ils représentent aujourd’hui environ 10% respectivement. Le petit meslier et le pinot gris furent aussi replantés dans des quantités moindres.

Cela fait quatre ans que le domaine n’utilise plus du tout de désherbant sur quatre hectares de vignes. Les parcelles qu’Eric Taillet travaillent sont âgées en moyenne de 40 ans. Les plus anciennes, « les Grillons » et « Montigny » ont été plantées en 1902. Le « Bois de Binson » est issu de ceps de 1956, « La Garde » de ceps de 1960 et 1962. Puis d’autres vignes ont été plantées dans les années 80 ainsi que deux parcelles de chardonnay et de petit meslier en 2006. De toute évidence, Eric Taillet ne souhaite aucunement arracher des vignes même agées.

Les premières bouteilles au domaine 100% Meunier remontent à plus de 45 ans, mais « on n’osait pas trop le dire » à l’époque. L’image collective du Meunier est souvent faussée, ce cépage manquerait d’acidité, de souplesse… Pourtant, s’il est vendangé au bon moment, il contrarie volontiers ces idées. Eric Taillet apprécierait ainsi de pouvoir vendanger plus tôt. En 2018, la récolte possédait fort heureusement des pH bas, qui ont offert une belle acidité aux raisins.

A l’aide de Pierre Yves Bonerias, oenologue, Eric Taillet procède à de nombreux essais, il a entre autres déposé un système de pressurage qui permet de fractionner les jus en 4 temps au lieu de 3. Il y a ainsi des cuvées « A », « B », « C » et « D ». Les cuvées « A » et « B » permettent de faire les grandes cuvées, la cuvée « C », qui mêle fraîcheur et gourmandise est utilisée pour la cuvée Egali’T. La cuvée « D » est vendue au négoce. Le cépage Meunier serait particulièrement adapté à ce pressurage en 4 temps.
Selon Eric Taillet, le Meunier est rustique dans la vigne et sensible à l’oxydation en tant que jus. Lorsque le vin est sur lies, ce vigneron essaie de ne toucher à rien, que ce soit pour un vin en cuve ou en fût.

Quelques idées toutes faites sur le pinot Meunier :
– Le cépage Meunier serait vigoureux, adapté aux terroirs argileux, il donnerait des vins souples et fruités. Notre vigneron est d’accord.
– Ses grappes seraient petites, compactes, à petits grains. Ce qui est tout à fait vrai.
– Son point fort est de résister aux gelées printanières grâce à un débourrement plus tardif. « C’est pourquoi on le plante là où il est le plus menacé par le gel printanier même s’il bénéficie également du réchauffement climatique. »
– Il manquerait d’acidité et vieillirait mal. « C’est pourquoi il faut le vendanger au bon moment. Les champagnes à base du cépage Meunier peuvent très bien vieillir. »
– Son rendement serait supérieur au Pinot Noir. Selon Eric Taillet, le cépage Meunier est le moins productif des trois grands cépages champenois, ce qui ne l’empêche pas d’être qualitatif, surtout si le sol est composé d’argile.

La dernière mise en bouteille a eu lieu en 2018 les 23 et 24 janvier, soit des jours « fruit », il n’y a pas de filtration ni de passage au froid. Il en résulte un vin élégant au bouquet intense. On peut constater une micro-réduction qui s’efface rapidement à l’aération. « On en revient de fait à ce que faisaient mes grands-parents. En hiver, sans brutaliser le vin, on ouvre simplement les fenêtres pour faire un léger passage au froid naturel. » Les fermentations malolactiques sont bloquées sauf exception.
Les plus anciens millésimes qu’Eric Taillet conserve remontent à 1973, à base de 50% de meunier et 50% de chardonnay, conservés sur pointe, depuis 1975.
La cuvée Egali’T est à ce jour dosée à 6 g/l mais Eric Taillet a la volonté de la passer à 4g/l. La liqueur qu’il utilise est millésimée 2004 et vieillie en cuve, il possède une dizaine d’années d’avance de liqueur pour ces champagnes. Le « Bois de Binson » et « Grand Marais » devraient bientôt disposer de leur propre liqueur.

L’objectif d’Eric Taillet est simple : « faire du fruit! »

Concernant la conduite des vignes, elle découle de l’expérience et de longues réflexions. Eric Taillet a décidé depuis de nombreuses années « d’arrêter de mettre beaucoup de choses dans les vignes ». Sans se revendiquer bio, il applique une « culture raisonnable » qui ne jouit d’aucune reconnaissance. Ce vigneron utilise ainsi des engrais organiques et les insecticides ont été arrêtés depuis plusieurs années. L’ajout d’engrais est chaque année diminué. Aujourd’hui, 4,5 hectares ne connaissent pas d’apports d’engrais du tout. Des micro-organismes sont néanmoins introduits pour redonner de la vie à des sols parfois fatigués.
Récemment, des fosses ont été réalisées dans la parcelle « Bois de Binson » et dans une parcelle en viticulture conventionnelle pour comparer les sols. Il en ressort que la parcelle du « Bois de Binson » est plus facile à creuser, qu’elle sent bon l’argile fraîche, le sol semble mélangé et le nombre de vers de terre y est 4 fois supérieur (soit 1300 vers de terre au m²). La majeure partie du système racinaire est à plus de 2 mètres dans le Bois de Binson contre 30 centimètres dans l’autre parcelle. La parcelle du Bois de Binson contient beaucoup de champignons qui permettent de capter l’azote et la potasse. Ces champignons contribuent à la vie du sol, tout comme l’enherbement. Les sols sont labourés en surface à 5 cm de profondeur.

Sur les photos de la coupe du sol, on peut distinguer une première couche argileuse puis une couche de calcaire plus en dessous.

Les parcelles que possèdent Eric Taillet ont de fortes disparités de sols, « les Pierreuses » contiennent du calcaire et du silex, « les Battis » de l’argile pure qui pourrait servir à faire de la poterie tant elle est tendre, cette argile contribue à la minéralité des champagnes.

Eric Taillet dispose également de parcelles plantées en Pinot Noir, le terroir de Baslieux-sous-Chatillon n’est pas nécessairement son terrain de prédilection, il pourrait être remplacé par des Pinots Meuniers en sélection massale. A ce jour, seules les parcelles le « Bois de Binson », « Les Grillons », et « La Garde » sont en sélection massale.

L’apport du bois ira crescendo dans les prochains millésimes avec l’acquisition de nouveaux fûts de la tonnellerie Billion ainsi que des plus gros contenants fabriqués par Jérôme Viard de la Tonnellerie de Champagne.

Eric Taillet fut à l’initiative de la création du groupe « Meunier Institut » accompagné de Pierre Yves Bournerias. Ce groupe lui permet de mieux se faire connaître auprès des restaurateurs, cavistes, importateurs et même… blogueurs.

Les vins d’Eric Taillet sont disponibles dans de nombreux pays européens tels que la Suisse, l’Italie, le Danemark, l’Espagne. On peut également les trouver aux USA ainsi qu’au Canada. En France, si vous souhaitez déguster un champagne Eric Taillet, vous pourrez en trouver à Reims au Glue Pot pour boire un verre, aux Crayères pour accompagner vos mets, ainsi qu’à la cave Colbert.
Dans le département de la Marne, les champagnes d’Eric Taillet sont aussi disponibles chez les cavistes « Au 36 » à Hautvillers ainsi qu’au « 520 » à Epernay. Vous pouvez également déguster un verre à la Grillade Gourmande ou la Briqueterie. A Paris, la cave « Les Dilettantes » propose elle aussi les champagnes d’Eric Taillet.

Les Cuvées
Toutes ces cuvées seront redégustées « hors salon » en 2020.

« Sur le Grands Marais »
Issue des millésimes 2012-2013 (une solera est en préparation !), cette cuvée complantée de 90% de Pinots Meuniers et 10% de Chardonnays ne contient aucun dosage, la fermentation malolactique est bloquée, elle est à ce jour vinifiée en cuve. Une part va être élevée en fût pour les prochains millésimes. « Sur le Grand Marais » possède un terroir humide où la vie microbienne est intense. Depuis 2018, Eric Taillet utilise les levures indigènes pour la fermentation alcoolique.
Un champagne qui suscite l’adhésion et l’enthousiasme, je l’ai servi sans rien préciser excepté qu’il était 100% Meunier, chacun a su en y trempant les lèvres qu’il buvait un grand champagne, fruité, harmonieux, précis, intense.

« Bansionensi »
Cette cuvée est proposée depuis 2019, elle résulte de l’assemblage des parcelles « Les Pierreuses » et « Les Battis ». Cette cuvée est 100% Meunier avec un dosage à 3g/l.

Le « Bois de Binson »
Cette cuvée connaît partiellement le fût et sera à l’avenir élevée à 100% bois. Les vignes sont très anciennes. Cette cuvée est dosée à 1 à 2 g/l. Un beau champagne délicatement fruité, très fin. Servie lors d’un apéritif en famille, cette cuvée a reçu de nombreux compliments pour sa générosité et son originalité.

Exclusiv’T
Cette cuvée est le fruit de l’assemblage des parcelles « Les Grillons » et du « Clos Paillot », c’est un 100% meunier de 5 années. Il est dosé à 6g/l. Cette cuvée est élevée à ce jour à 100% en cuve mais devrait connaître un léger partiel en fût.
Porte d’entré vers des champagnes de gastronomie, la cuvée Exclusiv’T rayonne déjà par sa matière juteuse, sa gourmandise et son intensité, un gros coup de coeur.

 

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